PROMESSE
Musée . Ouidah
« L’idée est d’imaginer un autre monde, je ne sais pas s’il est meilleur ou pas, mais il est imaginé à partir de Ouidah »
Il est fondamental, pour Joël Andrianomearisoa, que chaque œuvre qu’il crée soit en lien direct avec l’environnement qui l’entoure. Dès ses premières créations, il cherche à intégrer les savoir-faire locaux, à nourrir son art des idées et des matériaux qu’il trouve autour de lui. L’œuvre d’Andrianomearisoa est le fruit de dialogues constants : avec les artisans, les artistes et les lieux qu’il investit. A la manière de l’écrivain, il crée des unités de temps, de lieu, d’action, avec la liberté du poète, il invente les unités d’émotion, de mélancolie et de complicité. Cet ancrage permet de donner du sens, d’inscrire l’art dans un contexte à la fois local, intime et universel.
Le Bénin a toujours été un territoire d’expérimentation pour l’artiste. La confiance des conversations permet de n’avoir comme seules limites que celle de son imagination. La diversité des savoir-faire locaux, les possibilités de production sur des échelles non contraintes, le rapport très direct au public, tout concoure à la liberté de création. La Fondation offre le cadre formel du musée mais aussi les mille possibilités de s’en échapper, à travers la flexibilité de l’espace du LAB ou dans le territoire unique du Jardin d’Essai qui permet de penser à une échelle différente.
Dans les méandres de Dantokpa, dans les allées du centre artisanal ou au marché de Cococodji, l’artiste se promène. Mais pas en simple flâneur. La recherche est constante. L’inspiration peut surgir de partout puisqu’elle est directement liée à la géographie des émotions… Son regard s’arrête sur une couleur, une forme, une feuille, un objet qui pourrait sembler contingent, tout au plus ordinaire et quotidien. Il questionne les personnes alentours sur l’usage, la technique, la matière. Il parle à l’artisan, cherche à comprendre le processus de fabrication, le geste. Est ce un objet qui parle à tous ? Qu’est ce que cela évoque ? Dans quelles circonstances les gens l’utilisent ils ? Est ce de l’ordre de l’intime, de la représentation ? Il cherche à le comprendre complètement, tant dans sa forme que dans sa pratique ou son histoire. Il en épuise la définition. Puis vient le temps de la transcendance, l’objet indigent devient oeuvre. Les multiplications infinies des plaques de terre ou du mica deviennent des installations magistrales, les feuilles d’agrumes une constellation, une paire de talon l’évocation d’une femme qui toujours promet mais jamais n’apparaît…
Tout ici est connu : la poterie de Sè, le Sodabi, le porte agrume que l’on voit le long des routes chez les vendeuses d’orange, l’odeur des feuilles de teck craquantes en saison sèche, les palmiers qui ponctuent le paysage… Le visiteur ne peut être que touché par cette écriture qu’il connait intimement. Cette langue, que l’artiste invente sous ses yeux, est la sienne. La rigueur des lignes de l’accrochage est celle des carnets intimes dans lequel le visiteur va coucher ses émotions.
Entrons dans le Musée de Ouidah…
Les Promesses résonnent d’abord dans un lieu : cette bâtisse afro-brésilienne de 1922, construite par les maçons revenus de l’exil forcé à Salvador de Bahia, dans laquelle ont été pensées les circulation du vent, pour adapter la vie à une chaleur parfois éprouvante. Les fenêtres et portes si nombreuses, contraignantes dans l’univers formel du musée, deviennent ici partie prenante de l’oeuvre. Le vent s’engouffre, l’air traverse les oeuvres, se teintant des vapeurs de l’alcool de palme ou du parfum de la feuille de teck séchée au soleil du jardin de Ouidah, faisant bruire les feuilles de papier de soie du Labyrinthe des promesses, ou créant un mouvement délicat et irrégulier des feuilles d’agrumes. Les oeuvres donnent une nouvelle vie à la Villa Ajavon, qui, elle même, leur apporte un souffle unique.
Les trois premières oeuvres du musée introduisent la promesse qui a été faite par l’artiste lors de l’élaboration de l’exposition : la promesse à la nature. Une promesse née du dialogue autour du Jardin d’Essai (qui avait servi de cadre à la sculpture du dernier baiser installée en 2017), de son aspect botanique, historique et climatique, qui résume les grands enjeux du monde contemporain et questionne les défis auxquels doit faire face le continent africain.
Si au LAB, le spectateur est confronté à une exposition nouvelle qui s’inscrit dans le vocabulaire formel qu’il connaît de l’artiste, au Musée, Joël Andrianomearisoa casse les codes. L’introduction du végétal constitue une rupture disruptive et déroutante. Le palmier, Elaeis guineensis, espèce autochtone d’Afrique de l’ouest, devient médium. Du tronc au feuillage, du sol au plafond, de sa matérialité à son essence, il devient ici un nouveau moyen d’expression. Dans une salle inaccessible, au pied d’un mur d’argent dont la noble apparence contraste avec la modestie du matériau, les fenêtres s’ouvrent sur une immense installation de flacons d’alcool de palme, le sodabi, dont le parfum saisit le visiteur, et l’emporte dans une ivresse imaginaire et poétique.
Cette introduction, dans une salle inaccessible, donne le ton de la relation entre l’artiste, l’oeuvre et le public. Joël Andrianomearisoa ne voit pas le public en témoin silencieux de son oeuvre; il en fait un acteur, qui par son regard, son odorat, son imagination, son ressenti, va activer les installations qu’il parcourt. La porte fermée n’est pas symbole d’exclusion, elle est une fenêtre ouverte sur la Promesse de l’ivresse, une manière de montrer un chemin différent, comme un encouragement que l’artiste donne au public de prendre son oeuvre pour la faire sienne. Le spectateur comprend alors qu’il est partie de l’oeuvre…
La porte suivante est ouverte. Du palmier, ici, semble naître le vent, dans une installation composée de 240 éventails, encadrés par une fenêtre qui laisse entrevoir la vie quotidienne de la rue. Ce changement de perspective sur le monde réel introduit l’idée qu’une autre perception du monde est possible, comme pour induire métaphoriquement que ce qui nous entoure ne dépend que de notre propre regard et éveiller la curiosité sur le reste du parcours. Le vent qui souffle dans la pièce agite aléatoirement les fils déroulés des bobines noires, réitération d’une installation historique de l’artiste à Antananarivo, subtile évocation de Madagascar.
Les cartographies imaginaires en majesté à Cotonou apparaissent dans le musée. Dans des formats qui varient de la miniature à la toile imposante, on retrouve les peintures à l’huile, que l’artiste propose aux visiteurs d’interpréter selon leurs propres désirs ou émotions. Certains y verront des échos aux feuilles de palmiers, d’autres les cartes d’une géographies rêvées ou bien encore des calligraphies abstraites. Surprenant le visiteur au gré du parcours, elles tissent un lien entre les salles, mais elles inscrivent également l’exposition dans la continuité de celles qui l’ont précédée de Marrakech à Berlin ou Paris.
La dernière confrontation directe avec le palmier est celle du bouquet, spectaculaire. Une construction végétale qui déborde d’un vase en terre ; cette même terre qui donne naissance aux palmiers. Mais ici la terre est figée dans une poterie réalisée par les femmes de Sè et les palmes tombées de l’arbre et desséchées sont mortes depuis longtemps. Cette nature pourrait être simplement morte dans la pénombre d’une niche noire et pourtant elle reprend vie. Dans le mouvement imprimé par l’artiste, les palmes captent la lumière, changent de condition et se muent en une oeuvre qui résonne avec la promesse première de la nature, décrite par le philosophe grec Anaxagore de Philomène, « Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau ».
De la promesse de la nature à la promesse de la terre… La terre, qui donne naissance aux plantes, est la même que celle dans laquelle on ensevelit, on enfouit, on enterre. Si elle promet la vie, elle est également dépositaire de la mort. Elle est le témoin de chacun de nos pas, et la mémoire de tout ceux qui nous ont précédés.
De la complexité de la terre, naît une promesse plus fragile, plus intime, aux versants mélancoliques, parfois dramatiques. Alors que le spectateur monte au premier étage, la brise qui traverse les couloirs se fait plus forte et l’entraîne vers de nouveaux horizons…
La couleur éclatante des Rayons d’Alexandre Gourçon attire de prime abord et pourrait évoquer un soleil réconfortant mais plis et replis du textile, façonné par l’artiste, créent une zone d’ombre que nous ne pouvons ignorer. Quelle est la promesse qu’il a faîte à Joël Andrianomearisoa ? Si nous devinons, qu’elle naît dans la terre de Ouidah, qui a donné vie aux feuilles de manguier et aux racines du curcuma qui teintent d’or le percale, nous n’en connaissons pas la teneur. Le paravent cache autant qu’il s’expose, de là naît une ambiguïté, un doute, sur ce que révèlent les oeuvres et ce qu’elles cachent en leur sein.
Cette même incertitude teinte de noir le Labyrinthe des Passions, feuilles de papier de soie dramatiques où l’encre submerge l’écriture, nous laissant seul en proie à nos propres réflexions. L’oeuvre nous offre-t-elle un miroir de nos drames ? Est elle une évocation de la nuit vénitienne ? Un hommage aux écrivains disparus ? Une mélancolie malgache autour de l’architecture rêvée du Palais d’Ilafy…
L’oeuvre ne se contemple pas seulement, elle se traverse, s’écoute. Le vent qui s’engouffre dans la pièce fait bruire les feuilles comme un chuchotement. Il semble répondre aux notes de piano et à la voix de Zahra Rabeharisoa qu’on distingue à travers les fenêtres ouvertes. A ce moment précis, le spectateur comprend la musicalité de l’oeuvre de Joël Andrianomearisoa, et en parcourant à nouveau les salles du Musée, les accrochages millimétrés semblent devenir des portées de partitions, le feuilles d’agrumes, des notes qui s’envolent et les chaises Iarivo des silences.
Un souffle agite les feuilles de teck qui craquent. Ce son rappelle-t-il les pas de l’initié qui pénètre la forêt sacrée ou évoque-t-il la fin de la saison sèche lorsque le vent emporte avec lui les traces d’un automne imaginaire, saison qui n’existe pas dans notre géographie mais que l’artiste se donne la liberté d’invoquer pour faire naître des émotions nouvelles ?
Artiste, écrivain, compositeur, poète, Joël Andrianomearisoa se joue des définitions. Son art jamais ne l’enferme. Inscrit dans un monde sans frontière ni limites, il partage, dialogue, s’entoure, encourage, valorise, se nourrit des autres autant qu’il leur apporte. « Je » est souvent éclipsé par « Nous », jamais celui de majesté, toujours celui de la complicité. PROMESSE ne fait pas exception. Dans la conversation qui précède l’exposition, des invitations ont été lancées. Clotilde Courau, Alexandre Gourçon, Zahra Rabeharisoa, Jeremy Demester, Nobel Koty, Ishola Akpo, autant de complices avec qui se sont tissés des liens. Des complicités au long cours jusqu’aux amitiés nouvelles, des promesses ont été faîtes de part et d’autres, des histoires se sont créées. L’émulation de ces dialogues inattendus a construit de nouvelles promesses, introduisant dans le Musée, la tension, la fragilité et la beauté inhérentes aux relations humaines.
L’artiste entretient des relations proches avec Alexandre Gourçon et Zahra Rabeharisoa, et suit depuis longtemps le travail d’Ishola Akpo, qu’il connaît bien. Pourtant, ce n’est pas vers ces figures familières qu’il se tourne pour réaliser les promesses les plus intimes du projet. Pour mouler son cœur et peindre son autoportrait, il choisit plutôt « l’inconnu », il se tourne vers Jeremy Demester et Nobel Koty, avec qui les conversations sont les plus récentes. C'est à la dernière minute, juste avant l’ouverture de l’exposition qu'il choisit de se confronter aux œuvres réalisées par ces artistes, préservant l’effet de surprise de la découverte, comme si la promesse ne lui appartenait plus; il leur accorde une confiance totale. Au coeur du musée, Joël Andrianomearisoa, choisit de mettre son être au centre du projet. Est-ce parce qu’en tant qu’artiste à la renommée internationale, constamment engagé dans la création, ces artistes amis lui offrent enfin l’opportunité de se reconnecter à lui-même, de créer un souffle, une respiration dans sa propre vie ? Ou est-ce parce que proposer sa propre identité, son intimité comme inspiration lui permet de relier son être au monde, et à son universalité ?
C’est face à un autel d’argent, comme dans le secret d’un confessionnal, que le spectateur découvre les prémices du troisième acte de l’exposition, la promesse de l’avenir. Il est temps pour lui d’ancrer dans le papier ce qu’il espère, ce qui l’anime, ce qu’il se promet, ce qu’il nous promet. La feuille de papier blanche noircie à l’encre est pliée, elle est insérée dans l’une des 49 tirelires de métal scellé qui compose l’installation que l’artiste offre à la Fondation pour célébrer ses 20 ans et ses années à venir. Le protocole établit qu’elles seront ouvertes dans 10 ans. Il est alors temps de partir au Jardin d’Essai…