Il y a cinq ans Jeremy Demester mettait le pied pour la première fois sur la terre rouge de Ouidah.
Après avoir rassemblé et étudié de nombreux mythes oraux de la communauté tzigane, il entreprend ce voyage vers le berceau du Vaudou afin de comprendre quels sont les liens de la puissance imaginative qui relient les sociétés Vodun et les peuples de voyageurs.
Son œuvre picturale s’attache à recomposer un langage de formes sensibles et simples dont on devine la substance profondément humaine et les gestes instinctifs à l’instar de ces représentations composites que sont les fétiches. Objet, image, animal, ou personne ; le fétiche est un vecteur de création par le procédé d’abstraction progressive de lui-même. Pour l’artiste : « la construction d’un fétiche n’est pas seulement la part des cultes endogènes du Bénin, elle est présente dans toutes les civilisations », et c’est pour lui « la clef de l’intégration et de l’intellection de l’invisible dans le visible en un même objet ».
« Gros-Câlin » est un ensemble d’une vingtaine d’œuvres qui emprunte son titre au roman de Romain Gary (Emile Ajar).
L’exposition assemble et ordonne les visions d’un peintre qui place son intuition au centre de son œuvre, considérant cette faculté comme une technologie mentale que l’homme moderne est à peine en train d’expérimenter.
Le musée de la fondation Zinsou est d’après Jeremy Demester une véritable hétérotopie,
« entre illusion et perfection, le temps y apparaît autre, c’est une île d’où toute réalité peu renaitre ».
« Concernant l’exposition, j’ai vu les salles du Musée de Ouidah et j'ai commandé des formats de toile qui s’adapteront au lieu. Je peins par rapport à l’espace. C'est le lieu qui m'impose les formats. L'idée, c'est de créer quelque chose qui est déjà incarné dans la maison et de le faire sortir des murs. Je peins pour que la peinture vive, pour que d'autres la vivent et qu’ensuite elle soit rattrapée par d'autres personnes qui la continuent. C’est un moyen de passage en fait, et c'est ce que j'ai vécu, à travers ma culture. C’est un mélange entre la culture populaire Tzigane et ma culture provençale. »
« Je peins sans avoir d’idée au préalable. Comme une vision. Ça arrive et je peins. Il n'y a pas de but. Je vais me mettre dans un état quasiment animal pour peindre. Pendant un mois, on peut me parler, mais pas trop. J'essaye d'être le vecteur de quelque chose que je ne comprends pas. C’est pour ça que mes peintures n’ont pas de discours. C’est difficile à expliquer.
J'ai envie de transmettre la joie, et de la force. Quand parfois j'entends des musiques ou que je vois des œuvres qui me touchent, cela me donne de la force. Ces peintres qui ont réalisé des peintures qui existent depuis peut-être 400 ans, ces écrivains qui ont rédigé des livres, ils n'existent plus. Mais ils arrivent quand même à te donner de la force, par leur absence ! Quand on vit avec des œuvres, parfois il y a des choses qui nous galvanisent. Pour moi, c’est ça qui est important aujourd'hui, c'est que ces peintures donnent la force de continuer, d’exister, de créer des événements, des rencontres. La beauté, elle est absolument dans l'amalgame, elle n’est pas dans la séparation des idées. On ne peut pas être divisé, on peut plus être divisé. Il y a trop de monde. Il faut un milieu commun. On se rend compte que toute la technologie actuelle de nos sociétés occidentales ne cherche plus à créer de milieux communs, et, je crois que la peinture, est un de ces lieux où l’on pourra toujours se retrouver. »
Jeremy Demester