Le photographe Jean-Dominique Burton a présenté, durant l’été 2007, à la Fondation Zinsou, la première exposition de son œuvre consacrée aux Vodoun et Vodounon du Bénin, avant une tournée mondiale.
Jean-Dominique Burton est né en 1952 à Huy en Belgique. Après des études dans les domaines de l’imprimerie et des arts graphiques, sa fascination pour les images l’a naturellement amené à la photographie. Depuis 1979 ses œuvres sont exposées en Belgique et partout dans le monde. Il a publié à ce jour de nombreux livres dont les principaux sont cités dans la bibliographie en fin de cahier.
Jean-Dominique, tu es un photographe belge qui a beaucoup voyagé, notamment en Asie. Quand et comment est né ton intérêt pour l’Afrique ?
J’ai en effet arpenté les routes de l’Asie pendant une trentaine d’années et c’est de la plus belle des manières que j’ai découvert l’Afrique de l’Ouest en janvier 2004. J’ai trouvé une richesse culturelle incroyable dans ce continent. J’ai alors voulu montrer le côté positif de l’Afrique et non l’Afrique des guerres, de la famine et de tous les maux. La galerie de portraits des grands Rois du Burkina Faso que j’ai réalisée m’a fait entrer de plein pied dans cette culture fascinante.
Aussi loin que je me souvienne, l’Afrique m’a toujours fasciné ; enfant, je visitais très souvent le musée royal de l’Afrique centrale à Tervuren, je rêvais d’être explorateur au Congo.
Ma seconde rencontre avec ce continent fût le Dahomey (appelé aujourd’hui Bénin), pays profondément attachant, au lourd passé chargé d’histoire. En 2005, deux expositions: « l’Allée des rois » et « De Terre, de Mer, d’Air et d’Acier » ont été consacrées à mes œuvres photographiques. Elles ont été organisées avec la Fondation Zinsou, à Cotonou.
L’exposition « vodounon » s’est elle aussi réalisée en collaboration avec la Fondation Zinsou. Pourrais-tu nous parler de ta collaboration avec cette institution.
J’ai découvert la Fondation Zinsou suite à ma rencontre avec sa présidente, Marie Cécile Zinsou. Elle m’a présenté son projet et j’y ai toute de suite adhéré. Je pense aujourd’hui que cette rencontre a porté de nombreux fruits. Ma collaboration avec cette institution constitue une étape déterminante dans ma carrière de photographe en Afrique J’en veux pour preuve la double exposition de 2005. C’est un travail qui a fortifié mes liens avec l’Afrique après mes voyages au Burkina Faso. J’ai conçu à cette occasion des images des grandes entreprises qui font tourner le Bénin. Après avoir vu le côté ancestral, patrimonial de l’Afrique, j’ai aussi voulu montrer ce qui s’y passe aujourd’hui. Il s’agissait de photographies, prises dans des usines de transformation de coton et de production d’huile, ciment, enfin tout ce qui fait vraiment tourner ce pays. A travers ces deux expositions, je n’ai fait que capter, par mon regard, ce qui existe et que les gens ne voient peut-être plus. Les Burkinabés ont redécouvert leurs rois. Avec le travail sur les grandes entreprises, cela a été la même chose au Bénin.
Je suis revenu en 2006 car j’ai également participé, à la demande de Marie-Cécile, aux deux expositions consacrées à Cyprien Tokoudagba.
Quelle est ta vision de la photographie ?
J’ai une vision très particulière de la photographie. J’ai voulu que la photographie soit un mode d’expression artistique. Je prends toujours des sujets qui ne sont pas faciles. Je ne choisis pas des sujets touristiques, je ne travaille pas pour un journal, je ne travaille pas pour la publicité, je ne travaille pas pour la mode. J’effectue par contre des travaux très longs où le dialogue avec l’individu est très important. Je ne commence à photographier que lorsque je sens le sujet en moi. Autrement, je l’abandonne.
La photographie est pour moi comme un témoin du monde actuel à travers le portrait de ses habitants. Photographie veut dire « écrire avec de la lumière » et moi j’estime que c’est le meilleur moyen d’expression et c’est de cette manière là que j’écris au sujet de mes rencontres. C’est toujours l’humain qui m’intéresse avant tout. Et à travers l’humain, je fais connaître les richesses d’un pays. C’est le but de mon travail photographique. Je suis un portraitiste qui aime beaucoup la photographie traditionnelle.
Pourquoi avoir choisi de travailler sur le vodoun ?
Au cours de mes différents séjours au Bénin, un mot fort et chargé de mystère revenait inlassablement “vodoun”. Je devais avoir seize ans lorsque j’entendis pour la première fois mon héros de l’époque, Jimmy Hendrix, lancer à la face du monde son « Voodoo Child », noyé dans ses inimitables riffs sortis de sa Fender Stratocaster. J’étais très curieux et intéressé, c’est ce qui m’a poussé à rencontrer ses grands initiés.
En commençant ce travail je me suis également aperçu qu’en Belgique, et de manière générale en Europe, c’est le vodoun des Caraïbes que tout le monde connaît. Personne ne sait que ce culte monothéiste remontant à la nuit des temps est originaire du Dahomey.
Il existe très peu de travaux photographiques sur le vodoun béninois. Les photographies de Pierre Verger sont une exception . Ce photographe initié a fait un travail remarquable mais très différent du mien car il a photographié des rites « de l’intérieur ». Moi, je suis portraitiste, je ne suis pas initié, je porte un regard extérieur sur les gens, sur les œuvres d’art que sont les vodoun. Je ne crois pas au vodoun mais je respecte profondément cette croyance. En 1967 Irving Penn a photographié les Lêgba qui sont les gardiens des vodoun et qui se trouvent à l’extérieur. Moi, j’étais intéressé par ce qui se trouve à l’intérieur des couvents.
Quand as-tu débuté ce travail ? As-tu procédé en différentes étapes ?
J’ai démarré mon projet à Porto-Novo fin 2006 avec un des guides de la Fondation, David Ahoton et j’y ai fait quatre photos pour le tester.
Il y a toujours une phase préparatoire dans mes travaux Je cherche à savoir si la relation que je vais avoir avec les gens ne va pas être faussée dans les rapports humains ou par l’argent. Jusqu’à présent, je n’ai jamais voulu que l’argent soit le moteur de mon travail. Ma démarche consiste à prendre une information, puis à la restituer sous une autre forme. C’est ainsi que j’ai procédé avec les rois du Burkina Faso par exemple. Je capte des images et ensuite je les restitue au public et au pays propriétaires de ces images. C’est cette méthode de travail que j’ai reprise au Bénin.
Il faut préciser que depuis le début, et sans trop y croire, je rêvais de photographier les vodoun. Ce n’est qu’après avoir compris le bien-fondé de ma démarche que les prêtres m’ont conduit eux-mêmes à leurs autels, à leurs vodoun. C’était tout de suite très beau et très spirituel. J’ai donc entrepris de joindre à mes portraits de vodounon, d’autres images qui montrent justement tous ces vodoun qui sont d’une beauté incroyable où le masculin et le féminin se mêlent, comme s’y mêlent la matière et l’art. C’est d’une abstraction magnifique.
Comment as-tu expliqué ton projet ? Comment t’y es-tu pris pour convaincre les 57 vodounon de participer?
J’ai commencé par montrer mon livre avec les portraits des rois du Burkina. Je leur ai dit : je viens un peu rétablir ce que les missionnaires ont « cassé ». Il est temps de réparer, de remettre à l’honneur les fondements de votre culture, de votre religion. Je souhaiterais faire avec vous un travail semblable à celui de l’ouvrage que vous avez entre les mains.
Il n’y a pas eu de rapport d’argent. Depuis trente ans je travaille comme cela ; s’il y a un rapport d’argent, tout est gâté. Tout ce que je peux offrir ce sont mes photographies. Evidemment cela n’a pas été toujours facile et nous avons connu quelques mésaventures. Mais dans l’ensemble j’ai pu pénétrer dans un univers fait de respect et de légendes, symbolisé très souvent par d’incroyables autels abstraits, subtil mélange de sculptures, peintures et installations dignes de figurer dans les plus prestigieuses galeries d’art contemporain.
As-tu rencontré des difficultés ?
Je m’étais lancé d’abord sur un autre projet au Bénin mais c’est finalement celui-ci qui s’est concrétisé car c’est au projet « vodounon » que j’ai cru depuis le début. Ce travail montre l’âme du Dahomey. J’ai dû beaucoup me battre en amont. J’ai du convaincre, expliquer, aller à la rencontre des vodounon. C’est avec mes quatre premières photos qui ont été jugées « belles et effrayantes » que j’ai réussi à dépasser les craintes, à susciter l’adhésion. Par la suite, le travail a été beaucoup plus rapide que ce que j’imaginais.
Une fois le projet lancé, il est devenu très fédérateur, n’est-ce pas ?
Oui, même les vodounon étaient impressionnés de ce que j’avais pu photographier. Quand ils voyaient que leurs pairs avaient accepté, ils adhéraient au projet.
Chaque soir, je faisais des tirages de ce que j’avais photographié pendant la journée avec mon appareil digital, je le joignais aux photographies précédentes et je le montrais au nouveau vodounon que j’allais photographier le lendemain. Ainsi, ils accompagnaient mon travail au fur et à mesure qu’il avançait. Les vodounon pouvaient voir qui avait accepté et ce que chacun m’avait montré. Tout le monde était très impressionné par le résultat.
Je revenais toujours vers une vodounon très respectée ; Combéthée Andée Doulolougba pour être bien sûr que nous étions allés voir les bonnes personnes. Elle est ma caution pour ce travail. Dominique Hazoumé, mon guide, et moi nous retournions toujours nous ressourcer chez elle, à Cotonou. Elle nous a guidés pendant tout notre parcours, nous indiquant les personnes à voir, les lieux à visiter.
Pourquoi t’être arrêté à ce chiffre? Il y a beaucoup plus de vodounon au Bénin.
Ce travail est avant tout une série de rencontres et d’échanges et ne se veut en aucun cas un recensement exhaustif de ses officiants ni encore moins un essai ethnologique. J’ai photographié 57 vodounon et 57 vodoun parce que le 5 et le 7 sont des chiffres sacrés. La somme de 5+7 =12 et 1+2=3 tous ces chiffres sont très importants en numérologie.
Et pour ce qui est des photographies des vodoun ? Es-tu satisfait ?
J’ai eu accès aux vodoun les plus cachés, à ce qui correspond à l’intérieur du « tabernacle » de la religion chrétienne. Au fur et à mesure que le travail avançait j’avais l’impression que nous n’étions plus considérés comme des profanes. On m’a assuré qu’aucun blanc n’avait jamais vu cela, que seuls les grands initiés y avaient accès. On déballait, on ouvrait des portes, on soulevait des rideaux. Mon travail montre avec humilité ce qui se cache derrière ce “voile d’Isis”, délicatement soulevé, il ouvre la voie aux mystères et donnera j’espère à beaucoup de passionnés, l’envie d’en poursuivre la quête.
C’est une aventure que j’ai vécue profondément. Ces rencontres ont été intenses et passionnantes. La confiance avec laquelle les vodounon m’ont laissé réaliser leur portrait et photographier le vodoun le plus caché et vénéré au sein des temples, couvents et forêts sacrées m’a honoré et comblé au delà de toutes mes espérances. J’ai rencontré des individus très sereins, détenant une grande connaissance qu’ils distillaient petit à petit. Un vrai échange a eu lieu. Ils me demandaient si j’étais initié. Je leur répondais par la négative. Je confirmais que j’avais beaucoup lu car je cherchais à comprendre. Alors, progressivement ils me racontaient des choses. J’ai beaucoup appris.
Tu as traversé une bonne partie du Bénin pour ce travail. Quelles villes as-tu visitées?
Nous avons visité plus de 20 villes : Cotonou, Porto-Novo, Ouidah, Abomey, Savalou, Dassa Tré, Cové, Djegbamey, Allada, Houegbo, Sahoué Doutou, Grand Popo, Nanonmé, Panouignan, Ahozom, Pobé, Adjara, Sakété, Kpahou, etc.
Quelles techniques photographiques as-tu retenues ?
Ma démarche et surtout les outils utilisés sont une synthèse de l’histoire de la photo. Je travaille sur le noir et blanc en argentique. Je tire moi-même mes photos et je m’arrange toujours pour allier à mon travail les toutes dernières technologies en matière de photographie. Pour « vodounon », j’ai travaillé avec un appareil très ancien qui a été fabriqué en 1952, un Rolleiflex.
Le charisme et la personnalité de tous ces grands prêtres sont sublimés par la force et la magie du noir et blanc. Cette technique donne un côté intemporel aux portraits. De plus, toute l’attention est focalisée sur eux, sur leurs visages. La couleur fait plus penser au « reportage à la Géo ». J’ai tenu à photographier les vodoun en couleur car il y a une symbolique des couleurs dans le vodou ; Lisa est blanche, Sakpata est rouge, etc La matière est fondamentale également : on devine qu’il y a plusieurs strates, que de nombreuses matières se mêlent. J’ai utilisé dans ce cas-là un appareil numérique « dernier cri ».
Comment seront les tirages exposés à la Fondation ?
Ce seront de très grands tirages carrés de 160cm x 160 cm, les dimensions sont là pour le côté majestueux. Le carré est très significatif pour moi, c’est la forme parfaite, elle évoque les quatre points cardinaux. Dans le Fâ le cercle est très important et c’est le cercle qui est la figure qui se dessine le mieux dans un carré. Il y a toujours une philosophie qui est liée aux techniques que j’utilise. Les portraits des rois du Burkina par exemple, ont été tirés sur un format rectangulaire.
Il y aura également des œuvres en couleur, parce que la couleur est aussi l’actualité. Je procéderai ainsi parce que les vodoun sont très riches en couleurs, matières et tout cela a une signification. Au terme de mon travail, il y aura donc des photos qui seront réalisées en couleur et d’autres en noir et blanc afin de faire ressortir l’éclat des œuvres réalisées. Cela va démystifier. De voir de grands tirages des photographies, de ne pas devoir aller dans les couvents. Cela donnera une image plus douce, plus paisible de cette religion.
Pourquoi le choix du catalogue de l’exposition « Pour une reconnaissance africaine » et le livre de Marc Monsia comme livres de chevet pendant tout ce parcours ?
Au début je me suis intéressé au livre « Pour une reconnaissance africaine » car y figurent de fantastiques photos de rites vodoun. De plus les endroits où elles avaient été prises m’intéressaient pour mon repérage.
Puis, les écrits du père Aupiais et notamment son discours devant l’Assemblée nationale en 1930 ainsi que sa correspondance avec le mécène Albert Khan et Paul Hazoumé m’ont fasciné. Il faudrait les rendre publics, les faire mieux connaître. Il aurait fallu écouter ce missionnaire qui reconnaissait qu’il y avait au Dahomey une grande spiritualité. Le père Aupiais voulait connaître cette religion, la comprendre. Il estimait que si l’on restait humble on pouvait s’entendre.
Et Marc Monsia ?
J’ai découvert que l’hindouisme, le boudhisme tibétain, la mythologie grecque et les dieux de l’ancienne Egypte se mêlaient curieusement aux déités vodoun. C’est pourquoi la lecture d’un auteur comme Marc Monsia qui fait ce type de rapprochement m’a beaucoup stimulé. Plusieurs mots fon au même sens étymologique se superposent au grec ancien tandis que chants et autels de vodoun « trom »approchent de très près le shintoïsme.
D’après Marc Monsia, tout existait à l’origine et tout s’est perdu. On a de la difficulté à redonner du sens. Il faut perpétuer la tradition. Permettre aux gens de comprendre.
Texte extrait des Cahiers de la Fondation Zinsou Les cahiers de la Fondation sont proposés au visiteur désireux d’aller plus loin en approfondissant certains thèmes relatifs à l’exposition. Dans le cahier « Jean-Dominique Burton, photographe » nous avons voulu donner la parole à l’artiste afin que le lecteur comprenne la démarche singulière qui est à l’origine de cette exposition de magnifiques photographies
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