A travers quinze photographies de l’artiste camerounais Samuel Fosso, la nouvelle exposition de la Fondation Zinsou invite le visiteur à découvrir lors d’un voyage chronologique, la démarche créative, de ce photographe hors du commun.
Rien ne prédisposait Samuel Fosso à devenir photographe. Pourtant fuyant les horreurs de la guerre du Biafra et laissant derrière lui sa famille, il ouvrira en 1975 à Bangui, son premier studio photo : "Studio Nationale".
Depuis il n’a eu cesse de jouer et ruser avec les ambigüités d’un genre dans lequel il excelle : l’autoportrait.
D’une approche narcissique dans les années 70, où la volonté d’être le témoin d’une époque se cache derrière un travestissement exalté de la beauté masculine, aux mises en scène colorées et stéréotypées de la Série Tati, Samuel Fosso traduit dans ses autoportraits non pas un monologue avec lui même mais un dialogue avec le spectateur, l’art et l’Histoire en toile de fond.
Accueilli dans un espace noir et blanc, le visiteur découvre l’univers de Samuel Fosso par une série de cinq photographies illustrant ses débuts lorsqu’il a ouvert son studio, apprivoisant encore son appareil photo.
A cette époque, Fosso fait des portraits noir et blanc dans son studio dans la digne tradition de ses ainés maliens, Seydou Keïta ou Malick Sidibé. Mais là où Keïta mettait un fond drapé et prêtait des accessoires luxueux, exaltant la réussite et l’image de soi en réponse aux stéréotypes de la colonisation inscrivant ainsi ses photographies dans l’immortalité, Fosso, lui, propose des fonds peints, d’une incroyable modernité, avec des buildings flambants neufs, un réseau routier développé et des accessoires à la pointe de l’époque balayant ainsi l’immortalité pour faire place à la modernité.
Cette modernité devient essentielle pour Fosso et on la percevra avec une force inouïe dans ses premiers autoportraits dans les années 1970.
La dernière photographie, présentée dans cet espace, illustre la métamorphose de l’artisan-photographe en artiste-photographe. Cette transformation se fera par l’autoportrait.
Le soir, quand les derniers clients sont partis, Samuel Fosso enfile des chemises moulantes, des chaussures à plateformes ou encore des lunettes noires qui suggèrent tout le glamour et l’insolence des années 70.
Et là devant l’objectif de son appareil photo, il ressent le besoin vital, quasi physiologique, de se photographier ; il prend la pose il devient son propre modèle.
Regard narcissique d’un adolescent ou affirmation d’une nouvelle identité ? Certainement les deux. Samuel Fosso se dévoile imaginant un monde réel qui lui correspond, qui le libère de son histoire. Un monde qui, parce qu’il l’a inventé, peut l’extraire de la réalité aride de la vie quotidienne.
Sans se soucier des contingences extérieures Samuel Fosso se façonne un monde à son image.
L’autoportrait comme psychanalyse. L’autoportrait devient pour Fosso un rite initiatique qui le libère de son histoire lui permettant de passer de l’enfance à l’âge adulte comme une deuxième naissance, la naissance d’un artiste.
Au 1er étage une scénographie colorée met en scène 10 photographies de la série Tati réalisée sur commande en 1997 pour le 50ème anniversaire de la célèbre enseigne de magasins français.
Fosso, avec Keïta et Sidibé, sont invités pour l’occasion à photographier n’importe quel passant dans la rue. Une tente de studio est dressée en plein cœur de Barbès à Paris. Fosso transcendera la commande, cet art qui rime souvent avec réalisation d’exception et qui contraint l’artiste à aller au-delà de lui même, l’amenant à créer quelque chose qu’il n’aurait jamais créé.
Frénésie de couleurs, de vêtements extravagants, Fosso se met en scène empruntant des rôles de composition de plus en plus diversifiés et forts : marin, pirate, joueur de golf, cadre supérieur ou encore une femme fatale avec "La Bourgeoise".
Fosso vient de créer son style ! Malick Sidibé émerveillé dira de lui :
"Son style c’est lui même. Il a inventé sa propre réflexion".
Mais, au-delà de cette mascarade joyeuse et colorée, se dégage une dimension politique affichée. Révélation d’une critique acerbe et puissante, proche des grandes comédies satiriques du siècle des Lumières.
La mise en scène est utilisée à des fins critiques : il se sert de son image et du déguisement pour se jouer des clichés occidentaux ou encore de la politique.
Ces photographies sont une rupture dans la quête ingénue de l’artiste. Il n’est plus le sujet de son autoportrait mais le vecteur d’une expression, d’un message. Le premier rôle n’est plus tenu par Samuel Fosso mais par le message qu’il veut transmettre, comme en témoignent clairement "La femme américaine libérée" ou encore "Le Chef (celui qui a vendu l’Afrique aux colons)"
Pour clore la visite de l’exposition le visiteur pourra s’il le désire s’essayer à l’art de l’autoportrait dans un studio photo créé pour l’occasion. Un salon d’habillage et des accessoires seront mis à sa disposition.
Être utile, par Simon Njami Ouvrir un espace d’art contemporain en Afrique pourrait sembler une gageure. Pourtant, seuls les paris impossibles valent la peine d’être relevés. Et puis, pourquoi affirmer qu’il s’agirait là d’un pari impossible ? L’art contemporain n’est pas un domaine étranger à l’Afrique. Bien au contraire. Il est des manières de faire, en dehors des cercles consacrés, différentes. Il est des philosophies et des enjeux qui diffèrent, et c’est ce constant qui rend les initiatives qui prennent corps en dehors de la zone de confort occidentale plus passionnantes encore. L’initiative de la Fondation Zinsou est de celles là. Il serait vain -mais certaines personnes ne l’ont pas encore compris-, de vouloir créer en Afrique un MOMA ou un Centre Pompidou. Ces institutions ont été dans un cadre précis, pour répondre aux besoins spécifiques d’une société donnée. Et c’est bien là le secret de la réussite : répondre à une problématique endogène plutôt que d’importer des modèles qui, pour opérant sur d’autres territoires, n’en sont pas moins inadéquats dans d’autres. Cela, les créateurs de la Fondation de Cotonou l’ont bien compris. Comment transmettre le message de l’art contemporain dans un environnement où les outils de base (musées, écoles, financements, conscience et engament politique) font défaut ? Comment parler à une population dont les préoccupations quotidiennes ne sont pas les tendances de l’art actuel ? Et, enfin, comment répondre à une jeunesse qui, tout le monde en convient, est le capital le plus précieux du continent le plus jeune du monde ? C’est à la résolution de ces questions là que l’équipe de la Fondation, dont je soutiens et suis le travail depuis la création, a décidé de s’atteler. Donner la priorité aux jeunes esprits et les aider dans leur éveil et dans leur sensibilité a été, dès le premier jour, la priorité de la Fondation. J’ai été invité à donner une conférence dans le cadre d’une exposition qui montrait le travail du photographe camerounais Samuel Fosso il y a quelque temps. J’étais curieux, je dois l’avouer, de voir la manière dont serait présenté le travail d’autoportraits, dans un milieu pour lequel (mais cela fut la même chose en Occident) la photographie, étant en apparence à la portée de tous, n’est pas considérée comme une forme artistique. Je ne fus pas déçu. Il y a un élément fondamental dans l’appréhension de l’art contemporain qui est, comme le disait Ernst Bloch, le jeu : "Mais nous, nous prenons les choses au commencement. Nous sommes pauvres, nous ne savons plus jouer. Nous l’avons oublié, la main a désappris à bricoler." (Ernst Bloch, L’esprit de l’Utopie) Tout apprentissage suppose un bricolage. Suppose la mise à distance de l’objet à étudier de manière à l’envisager comme une expérience à vivre plutôt qu’une théorie à digérer. C’est cette méthode qu’a adopté la Fondation Zinsou. Il y avait, d’une part, les photographies, dans leur accrochage traditionnel qui respectait toutes les règles de l’art et de l’autre, l’atelier. Le travail de Fosso, par le biais de cette mise en scène qui permettait à chacun de se mettre dans la peau de l’artiste, devenait non plus quelque chose qu’il fallait regarder de manière passive et extérieure, mais dont on pouvait devenir l’acteur. En observant les visiteurs, enfants comme adultes, se prendre au jeu de la pose et du travestissement confirmait, de manière concrète, la justesse de l’intuition qui guide cette institution. Car, s’il est important de mettre à la disposition des "apprenants" la boîte à outils qui leur permettra de penser par eux-mêmes, il est encore plus important, comme nous le rappelait Gilles Deleuze, que cette "boîte à outils" soit opérante : "Une théorie est exactement comme une boîte à outils. Elle doit être utile. Elle doit fonctionner. Et pas pour elle-même. Si personne ne s’en sert, à commencer par le théoricien lui-même (qui cesse d’être un théoricien), la théorie est sans objet ou le moment est inapproprié". Simon Njami Ecrivain et commissaire d’exposition (extrait du Livre des 10 ans de la Fondation Zinsou)